dîner à Turin

Quoique Turin fût plus loin que Genève, je jugeai qu’étant la capitale, elle avait avec Annecy des relations plus étroites qu’une ville étrangère d’État et de religion : et puis, partant pour obéir à madame de Warens, je me regardais comme vivant toujours sous sa direction : c’était plus que vivre à son voisinage. Enfin l’idée d’un grand voyage flattait ma manie ambulante, qui déjà commençait à se déclarer. Il me paraissait beau de passer les monts à mon âge, et de m’élever au-dessus de mes camarades de toute la hauteur des Alpes.  (...)
Mon regret d’arriver si vite à Turin fut tempéré par le plaisir de voir une grande ville, et par l’espoir d’y faire bientôt une figure digne de moi ; car déjà les fumées de l’ambition me montaient à la tête ; déjà je me regardais comme infiniment au-dessus de mon ancien état d’apprenti : j’étais bien loin de prévoir que dans peu j’allais être fort au-dessous. (...) J’arrive à Turin sans habits, sans argent, sans linge, et laissant très exactement à mon seul mérite tout l’honneur de la fortune que j’allais faire.

Rousseau: Les Confessions, livre II. 
 

 


 
 

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