"Ces guirlandes semblaient jetées négligemment" : une revendication d’authenticité littéraire chez Jean-Jacques Rousseau

Article publié dans la revue Jelenkor, décembre 2023.  


(...) Non seulement sa démarche d’écrivain et son style empruntent des voies sinueuses et inégales, mais c’est l’attribut principal qui domine l’espace créé pour sa protagoniste préférée, Julie. Ce petit îlot[1], l’Élysée, décrit dans la lettre de Saint Preux à Milord Édouard, transmet comme un ecphrasis la philosophie de l’art de Rousseau. Il est la spatialisation d’une idée, le sine qua non de la création. Un terrain riche, diversifié, animé, spectaculaire, qui offre l’illusion absolue du non cultivé, sauvage et solitaire baigné d’une nonchalance séduisante[2]. Cette mise en scène montre une étrange similitude entre la topographie du texte et la représentation pittoresque de la « nature », et met en lumière les points communs entre les traits d’un paysage et ceux d’un portrait. Les deux doivent exprimer l’épistémè de la nature vivante.

[2] Jacques Gubler, Les jardins de Jean-Jacques, Lausanne, 1997.

"Dans les lieux plus découverts je voyais çà et là, sans ordre et sans symétrie, des broussailles de roses, de framboisiers, de groseilles, des fourrés de lilas, de noisetier, de sureau, de seringa, de genêt, de trifolium, qui paraient la terre en lui donnant l'air d'être en friche. Je suivais des allées tortueuses et irrégulières bordées de ces bocages fleuris, et couvertes de mille guirlandes de vigne de Judée, de vigne vierge, de houblon, de liseron, de couleuvrée, de clématite, et d'autres plantes de cette espèce, parmi lesquelles le chèvrefeuille et le jasmin daignaient se confondre. Ces guirlandes semblaient jetées négligemment d'un arbre à l'autre, comme j'en avais remarqué quelquefois dans les forêts, et formaient sur nous des espèces de draperies qui nous garantissaient du soleil, tandis que nous avions sous nos pieds un marcher doux, commode et sec, sur une mousse fine, sans sable, sans herbe, et sans rejetons raboteux. Alors seulement je découvris, non sans surprise, que ces ombrages verts et touffus, qui m'en avaient tant imposé de loin, n'étaient formés que de ces plantes rampantes et parasites, qui, guidées le long des arbres, environnaient leurs têtes du plus épais feuillage, et leurs pieds d'ombre et de fraîcheur. J'observai même qu'au moyen d'une industrie assez simple on avait fait prendre racine sur les troncs des arbres à plusieurs de ces plantes, de sorte qu'elles s'étendaient davantage en faisant moins de chemin."

J.-J. Rousseau: Julie ou la Nouvelle Héloïse, IV.,  Lettre XI à milord Edouard

Ravishing transports

Influence is an important notion in Jean-Jacques Rousseau’s thinking. However, the event of influence is related to contamination, corruption, and alteration in Rousseau’s philosophical system. At the very beginning, the first Discourse (1750) presents the critique of culture and social taste. The author points out the damaging influence of ‘public opinion’, ‘riches’, and ‘powerful actors’ on the morals of a society. These entities corrupt the social morals and set a depraved example to follow. On the other hand, there is a clean and progressive way of influence between individuals without moral abuse. This is the case of the Genius, who comes to the world exclusively under influence of another Genius. There is no Genius – whatever this notion is supposed to mean – in itself. His birth is the result of a strong influence: it came to the world in a ‘ravishing transport’ as the entry “Genius” describes its genesis in A Complete Dictionary of Music. Purely positive influence is a ‘stimulus’ as Rousseau names it in Dialogues. My paper describes what the ‘stimulus’ means and how the uncorrupted ‘inhabitants of the other sphere’ are disposed by this stimulus. The example of the Genius demonstrates more eloquently the process of the positive influence, which is also a possibility to a sourceless beginning. To illustrate this idea and make it more concrete I will reference Julie’s paradise in Rousseau’s masterwork, Julie, or the New Heloise. In Julie’s garden, called Elysée, we have the topology of a perfect wilderness, a landscape at first sight uncontaminated by human artefact. The structure of the vegetation testifies of a beginning without beginning. The décor looks like a setup with no human intervention. This idea of creation is close to the idea of insemination, and more precisely to the ‘dissemination’ key word of Derrida’s work, Dissemination. My article is a lecture regarding the entry “Genius” in A Complete Dictionary of Music and a thought-experiment about how this entry can be interpreted in a deconstructive context.


Article publié dans la revue AM Journal of Art and Media Studies de Belgrad



Notes de lecture d' Eszter KOVÁCS sur la traduction hongroise de Rousseau juge de Jean-Jacques dans la revue Dix-huitième siècle 2023/1 (n° 55)


Rousseau, Rousseau Jean-Jacques bírája. Párbeszédek [Rousseau juge de Jean-Jacques. Dialogues], traduction, notes et postface par Paula Marsó, relecture par Gergely Angyalosi et Ilona Kovács, Budapest, Typotex, 2020

81En attendant la réédition de la traduction hongroise des Confessions, le public hongrois peut se réjouir de la parution de la traduction intégrale des Dialogues de Rousseau. Il s’agit de l’aboutissement d’un long projet dans la continuité de la thèse sur Rousseau de Paula Marsó, qui a persévéré pour rendre accessible l’ouvrage en hongrois.

82Le livre s’ouvre par le texte de Rousseau lui-même, car les notes et la réflexion de la traductrice sont placées à la fin, ce qui évoque une tradition éditoriale en partie disparue qui nous fait connaître le texte avant les commentaires. La postface, entre essai et étude savante, récapitule pour le lecteur l’histoire du triptyque composé des Confessions, des Dialogues et des Rêveries. Paula Marsó souligne que Rousseau fut hanté par l’idée d’un complot contre lui mais elle ne souhaite pas confirmer la nature pathologique de cette hantise. Sa position, après avoir travaillé sur ce texte pendant des années, est que l’état d’âme de Rousseau était plutôt celui de la réaction d’une sensibilité extrême qu’une « folie » clinique. De son avis, l’argument que les Dialogues témoignent d’une pensée pathologique a longtemps occulté l’importance littéraire et politique de l’ouvrage.

83Elle résume également l’histoire de l’animosité de Voltaire contre Rousseau, accrue par la célébrité inattendue de ce dernier. Elle ne tait aucunement l’opinion selon laquelle ce texte est la preuve de la « folie » de Rousseau semble s’éterniser malgré certaines objections, vite écartées. Son parti pris est pourtant de ne pas suivre l’interprétation dominante comme la seule lecture possible, même si elle admet le caractère sinistre et bouleversant du texte et l’effort de son auteur devant l’insoluble : Rousseau sait que la sincérité qui devrait l’absoudre le noircira à tout moment.

84Il n’y a pas lieu de comparer des passages de l’original et la traduction dans un bref compte rendu. Je tiens à noter que Paula Marsó ne se donne pas une tâche facile car Rousseau avait eu des traducteurs hongrois parmi les plus connus de leur génération (István Benedek et Marcell Benedek pour les Confessions, Ádám Réz pour les Rêveries). Je dois toutefois souligner que la traduction se lit parfaitement comme si c’était un texte composé en hongrois, mobilisant un lexique d’origine hongroise et évitant les emprunts latins inutiles pour les notions morales, psychologiques ou politiques. Cette « naturalisation » est sans doute le résultat d’un long travail et de nombreuses relectures. Ce travail est d’autant plus important qu’il s’agit d’un texte qui demande la participation du lecteur sur le plan psychologique. Je ne peux que saluer la décision de la traductrice de ne pas, sauf cas absolument nécessaires, couper les phrases longues et de ne pas « alléger » ainsi un texte ayant une portée profonde.

85Eszter Kovács

https://www.cairn.info/revue-dix-huitieme-siecle-2023-1-page-515.htm?ref=doi#xd_co_f=OWNhMjBjYTQtM2UxNS00NzNjLWJiZTYtYWQ5MzY4N2Y3MmUw~

Dix-huitième siècle, 2023/1 (n° 55), p. 515-680. DOI : 10.3917/dhs.055.0515. URL : https://www.cairn.info/revue-dix-huitieme-siecle-2023-1-page-515.htm


Dialogue sur les Dialogues de Jean-Jacques Rousseau avec Gergely Angyalosi (rédacteur de publication)


https://litera.hu/magazin/interju/angyalosi-gergely-a-legkeserubb-belatas-talan-az-a-parbeszedekben-hogy-az-emberek-befolyasolhatosaganak-nincs-hatara.html?fbclid=IwAR0I-wM1PICWueFKYudPykAHv72WN3axCaAGK-5VRyJpGmO321wks4pYHsA





La traduction hongroise des Dialogues de Jean-Jacques Rousseau est finalement sortie!

 



https://www.typotex.hu/author/1359/rousseau_jean-jacques

Big day - my recent translation "Rousseau, juge de Jean-Jacques" critical edition with notes and presentation is on the way out!

Years of work, so it's time for a word of thanks.
First of all to the two people who have been standing by me in that giant work and went through that amazingly difficult French text, Angyalosi Gergely &
Kovács Ilona
, and the editor's team at Typotex.
Thank you all of those who guided, assisted me to get into the programs that made it possible to do the research and the work itself:
Centre National du Livre (Paris, France), ATLAS-CITL (Arles, France), L'université Babeș-Bolyai (Cluj-Napoca, Roumanie), Université de Montréal (Montréal, Québec), Parc
Ccr Jean-Jacques Rousseau
(Ermenonville, France), Babits Ösztöndíj (Budapest, Hungary).



Une discussion sur l'oeuvre avec Ludassy Mária (philosophe) et Kovács Ilona (critique littéraire)



une phase optimiste

décidément optimiste. Au parc Luxembourg l'été 2015 tout semblait faisable, sereine, douce.
En lisant une monographie sur les Dialogues (James F. Jones, Jr.).

A suivre.   

très bientôt en hongrois


La traduction hongroise de l'oeuvre majeure de 
Jean-Jacques Rousseau 

Dialogues. Rousseau juge de Jean-Jacques

paraîtra bientôt 
chez l'Édition Typotex. 

(Budapest: 2020)





le culte Rousseau, l' Abbaye de Chaalis, France








La belle page blanche



« Une musique mutique » et une « belle page blanche » : visions acoustiques de J.-J. Rousseau & Jean-Luc Nancy. La mélodie, la présence sonore non seulement ouvre la temporalité, donne lieu au sujet qui se se comporte à la fois comme émetteur et récepteur, elle est intelligible et sensible à la fois. Quoique apprécié pour sa nature émotive, elle garde aussi un caractère très important, voire l’abstraction. Petite escapade autour d’une ontologie acoustique, sa liaison avec la mimésis et son aventure avec les couleurs.   

Jean-Luc Nancy à Budapest  

Francia Kapcsolat ‒ komparatisztikai, interdiszciplináris kutatócsoport és kulturális műhely

Rousseau & Martin Šulík (Le jardin, 1995)

Le Jardin (Záhrada) est un film franco-slovaque réalisé par Martin Sulik, sorti en 1995


Une courte interprétation "rousseauiste" dans le film culte de Sulik. (A ne pas confondre avec le film homonyme de Derek Jarman.) 

Cependant, le rapprochement vaut dans la mesure où les deux cinéastes citent les mêmes philosophes, en particulier Wittgenstein. Mais Jarman partait de la figure de Wittgenstein pour arriver à sa philosophie. Alors que le Slovaque Martin Sulik a écrit un scénario très littéraire, truffé de références à ses auteurs favoris : Wittgenstein donc, mais aussi Herman Melville ou Jean-Jacques Rousseau. La forme même du film, divisé en chapitres annoncés par des titres, renvoie aux auteurs romantiques de la fin du 18e siècle. 













Apologie d'un monstre sacré (Introduction aux Dialogues)

http://www.fi.btk.mta.hu/index.php/hu/intezeti-tevekenysegek/tarsadalomfilozofiai-vitakor




Merci a KOVÁCS Eszter et  SZÜCS László Gergely

Académie Hongroise des Sciences
Budapest, 1014 Országház u. 30.
2016/05/04. 16:00.



"Egy szent szörnyeteg védőbeszéde.
Rousseau, Jean-Jacques bírája"

című beszélgetésére.
A vita során Marsó Paula írását tárgyaljuk, amely Rousseau utolsó nagy szellemi vállalkozásáról, a Párbeszédek-ről szól. Eseményünkön többek között azzal a kérdéssel foglalkozunk, hogyan változott a filozófiai dialógus szerepe a gondolkodás történetében. De az a módszertani kérdés is terítékre kerül, hogyan viszonyuljunk egy filozófiai szöveghez, amelynek szenvedélyessége a recepció egy része szerint nem a filozófiai dilemma mélységének, hanem a szerző őrültségének tulajdonítható.

Bevezető előadást tart: Marsó Paula, filozófus, műfordító
Vitaindítót tart: Kovács Eszter, irodalomtörténész (MTA ITI)


A szöveg ezen a linken érhető el.
Az esemény időpontja: 2016. május 4. 16:00.
Az esemény helyszíne: Budapest, 1014 Országház u. 30. Pepita terem.
Vitakörünkről az MTA BTK Filozófia Intézetének honlapjáról és a vitakör facebook-oldaláról tájékozódhatnak.
További információk: tarsadalomfilozofiaivitakor@gmail.com


Un Auteur

Un Auteur qui écrit d'après son cœur, est sujet en se passionnant, à des fougues qui l'entraînent au-delà du but, et à des écarts où ne tombent jamais ces écrivains subtils et méthosistes qui, sans s'animer sur rien au monde, ne disent jamais que ce qu'il leur est avantageux de dire..

Rousseau, juge de Jean Jacques. Premier Dialogue, p. 96.

Enteretien enregistré par Vincent Hindson.

Bonjour, pour commencer peux-tu te présenter en quelques mots ?

Il y a maintenant presque trois ans j’ai rédigé ma thèse sur Rousseau, Jean-Jacques Rousseau, le problème de l’écriture, publiée en hongrois il y a deux ans. Je viens de terminer la traduction de De la Grammatologie de Jacques Derrida, qui a été mon plus grand travail ces dernières années, et je commence désormais à travailler sur la traduction des Dialogues. C’est la raison de ma résidence ici au Parc Rousseau, je prépare la rédaction d’une préface aux Dialogues.

Peux-tu nous en dire plus sur le travail que tu mènes pendant ta résidence ?

Chaque traduction exige un vocabulaire à part. Il faut donc un peu construire, préparer un vocabulaire pour chaque œuvre.  C’est cette phase de préparation que je mène ici. Et il faut aussi se préparer autrement. Selon mes expériences, chaque traduction exige un investissement à la fois émotif et intellectuel. Ce sera un travail de un an ou plus, ce qui nécessite vraiment un grand engagement.
Il faut bien se préparer pour le travail à venir, ce que j’ai pris le temps de faire : lire un petit peu autour du dernier ouvrage de Rousseau (Les Rêveries du promeneur solitaire, ndlr.), comprendre mieux le contexte actuel, et aussi finaliser mon rapport personnel avec le texte de Rousseau. Il est important d’avoir un rapport assez clair au texte, pour que le travail soit cohérent. Quant à la rédaction de la préface, c’est une problématique que j’ai déjà thématisé et sur laquelle j’ai déjà écrit : la question de l’autobiographie, de l’auto-confession et tout ce qu’il y a avec. Mais pour le livre à paraître, il faut que je travaille un texte plus court, plus synthétique.

Tu nous parles de ton « rapport personnel avec le texte », quel est le lien qui se tisse entre toi et l’œuvre au cours de ton travail de traduction, en particulier venant ici ?

Ce que j’ai bien compris, ou plutôt vécu, ici, est l’isolement, que je connaissais par ailleurs. C’est quand même une expérience sur place, l’isolement en tous sens. J’ai médité assez fréquemment comment Rousseau a pu vivre cet isolement dans sa vie. Non seulement symboliquement, ici sur place, mais aussi dans les quinze dernières années de sa vie. Il était assez isolé d’une certaine façon et voulait en sortir, en écrivant Les confessions, les Dialogues, la Rêverie… c’était plutôt l’expérience du vécu que j’ai eu sur place.

Il y a le sentiment de vivre le regard de Rousseau ?

Si tu demandes s’il y a une identification, non, je l’éviterai absolument. Il faut savoir prendre du recul. C’est une partie du travail dont je parlais au début, toujours savoir garder ses distances. Ce qui n’est pas facile si tu es enclos dans un texte. Tu te lèves et tu te couches avec, ça te prend toutes tes énergies intellectuelles et émotives. Donc il faut faire bien attention à garder ses distances, se permettre des escapades pour s’en sortit et surtout refuser l’identification. Le résultat n’en serait que négatif, autant pour le texte que pour le traducteur.

Au sujet de Jean-Jacques Rousseau et des Lumières, qu’est-ce qui t’a amené vers cet auteur-là ? L’esprit des Lumières a-t-il eu une influence particulière en Hongrie ?

La première question d’abord : Je pense que c’est tout simplement la passion qui m’a amené vers Rousseau. J’étais passionnée pour son texte. Il y a dix ans, dans le cadre d’une bourse Erasmus, j’étais Dijon et j’ai assisté à un séminaire sur les sentiments et émotions de Spinoza jusqu’à Levinas. Rousseau a été évoqué un petit moment, notamment sur le désir d’existence, ce qui m’a beaucoup travaillé. J’ai réfléchi à la question et j’ai voulu comprendre le système d’écriture dans la pensée de Rousseau. Pour la deuxième question sur Rousseau et la Hongrie : je trouve que Diderot et Voltaire ont toujours été plus appréciés en Hongrie. Parce que la relation avec ces grands philosophes, auteurs et écrivains était toujours plus simple, plus claire, plus stable qu’avec Rousseau. Dans un pays qui a connu la dictature, citer Rousseau a toujours été plus ambigu. En suivant les principes marxistes, très présents dans la pensée des pays communistes, on pouvait facilement avoir une interprétation assez abusive de ses écrits, du Contrat social par exemple.

Rousseau a quand même influencé certains auteurs comme Csokonai Vitéz Mihály.

Oui et c’est quelque chose d’extraordinaire d’ailleurs. Je ne sais pas exactement où Csokonai a pu lire Rousseau, ni comment Rousseau était présent dans son imaginaire, mais il est clair que c’est à lui qu’on doit la phrase la plus célèbre du XVIIIe siècle : « comme un Rousseau à Ermenonville, je deviendrai citoyen et homme » (mint egy Rousseau Ermenonville-ben / ember és polgár leszek).
En venant sur place, au Parc Jean-Jacques Rousseau, j’ai compris que ce que voulais dire cette phrase, son lourd héritage, et peut-être l’intention que Csokonai lui avait donnée. Je ne l’avais pas compris avant parce que j’étais totalement influencé  par les livres de l’école et l’interprétation marxiste. Il ne s’agit pas de glorification de l’homme et du citoyen, comme on a pu le penser à l’école, mais bien au contraire, « comme un Rousseau à Ermenonville » signifie « après être mort, j’aurais peut-être une existence, une existence qui me mérite ».

C’est une phrase qui lie Rousseau a une mythologie autour de sa personne ?

Exactement oui, mais ce que je n’avais pas compris avant, c’est qu’il s’agit d’une métaphore temporelle et non spatiale. Je me demandais toujours pourquoi Ermenonville, qu’est-il y a fait ? Et en fait il n’y a rien fait. Ce n’est pas Ermenonville, le lieu, qui est ainsi désigné mais, pour Rousseau, le fait d’être mort. C’est assez subversif quand même ! C’est mon interprétation aujourd’hui. Je pourrais en discuter avec les autres collègues pour savoir s’il est légitime de penser comme ça, en tout cas ça a été un vrai choc pour moi. La citation de Csokonai c’est très certainement une allusion au culte, le parc étant vite devenu un lieu de pèlerinage. Il y a un certain parallélisme dans leur vie. Il a été chassé, mal vu en Hongrie, il vagabondait partout, il ne pouvait pas enseigner à l’école, ce qui était sa vocation. Je pense qu’il s’est facilement identifié à un homme qu’on a sublimé après sa mort.

Est-ce que dans ton travail de traduction tu as une volonté de, justement, faire attention à toute la part d’imaginaire et de mythologie autour du personnage de Rousseau en présentant le texte tel qu’il est réellement ?

Il est important aussi de connaître ces mythes, connaître la topologie de tous ces mythes présents. Mais sur le personnage de Rousseau, c’est une question encore plus difficile, parce que je dois dire que l’écrivain Rousseau existe très peu en Hongrie. Pour des raisons politiques il était toujours présent pour son Contrat social, en ce qui concerne ses écrits politiques, anthropologiques. Mais comme écrivain, il n’a jamais été intégré à la pensée hongroise. Et même s’il existe une très bonne traduction des Confessions, L’Émile est, à mon sens, presque illisible aujourd’hui. Les traductions datent de 60, 70 ans, ce ne sont plus des textes contemporains. Les Rêveries ont eu une splendide traduction, mais la traduction des Confessions ne me parle pas, je les trouve difficile à lire et je dois revenir au français pour bien saisir les nuances. L’enjeu de la traduction est de trouver un langage qui peut être valide, qui peut retranscrire le langage du XVIIIe siècle de nos jours. Les dialogues sont très peu connus en Hongrie, et même en France ils sont assez sous-représentés dans le système universitaire. Y compris en anglais, la traduction date d’il y a quinze ans. C’est donc certainement un autre aspect de Rousseau qui va venir au monde en Hongrie  avec ce texte, immense et très riche.
C’est un livre qui a toujours causé des ambiguïtés, des difficultés dans sa réception, ce qui rend le travail un peu plus difficile. Parce que c’est un Rousseau qu’on ignore qui parle. Il faut le faire, l’articuler, trouver son corps et son visage. Je pense vraiment que c’est un défi immense.

Tu termines ta résidence à la fin du mois (juillet 2015, ndlr.), quel bilan, un peu en avance, tu peux tirer de cette période-là, et quelle est la suite de ton travail ?
 Je sens déjà que ça m’a donné beaucoup d’énergie pour le travail à faire.  La suite se déroulera à Arles à la maison des traducteurs, dans l’espace Van Gogh, où j’ai une bourse du CNL (Centre national du livre) pour 2 mois. Et j’espère pouvoir commencer le travail de traduction quotidiennement à partir du mois de septembre. Il y a une très bonne bibliothèque, très bien équipée. C’est aussi un lieu très inspirant, dans un autre sens qu’ici.

Et est-ce qu’il y a une date prévue pour la publication du livre ?

J’espère pour fin 2016.

                                                                                                           Ermenonville, le 20 juillet 2015

Anti-Versailles.

„Le fameux Le Nôtre, qui fleurissait au dernier siècle, acheva de massacrer la Nature en assujettissant tout au compas de l’Architecte ; il ne fallut pas d’autre esprit que celui de tirer des lignes et d’étendre le long d’une règle celles des croisées du bâtiment ; aussitôt la plantation suivit le cordeau de léa froide symétrie ; le terrain fut aplati à grands frais par le niveau de la monotone planimétrie ; les arbres furent mutilés de toute manière, les eaux furent enfermées entre quatre murailles ; la vue fut emprisonnée par de tristes massifs…On n’avait point un parc pour s’y promener, et l’on entourait à grands frais d’une enceinte d’ennui ; on le séparait, par un obstacle intermédiare, de la Campagne ; tandis que par un instinct secret, on s’empressait d’aller la chercher, quelque brut qu’elle pût être, de préférence à toutes les allées bien droites, bien ratissées et bien ennuyeuses.” (René-Louis de Girardin: De la composition des paysages. [1775]  Champ Vallon, 1992. p 12.)




Traducteur en résidence. Aix-en-Provence, Cité du Livre lundi 28 septembre 2015


Lundi 28 septembre 2015
 
Cité du Livre - Aix-en-Provence
13090 AIX-EN-PROVENCE
Nombre d'acteurs culturels organisent aujourd'hui des résidences d'écrivains, de traducteurs,
de dessinateurs ou illustrateurs. Qu'il s'agisse de lieux dédiés ou de résidences ponctuelles
(mais régulières), que ces résidences soient portées par de petites structures ou de plus
importantes, ce sont autant d'auteurs qui vont irriguer le territoire.
Cette journée d'étude se propose de faire un bilan collectif des expérimentations récentes des
uns et des autres et d'entendre les plus anciens.
PROGRAMME
9h15-9h30 | Accueil
9h30-12h30 | Les projets
Les différents types de résidences en région Paca
Par Claire Castan, Agence régionale du Livre Paca
"Paroles d'auteurs" : table-ronde animée par Pascal Jourdana, La Marelle (Marseille)
Avec Pierre Parlant (poète et philosophe, la ZIP, Barjols), Elsa Osorio (La Marelle, romancière,
Argentine), Paula Marso (Altas-collège des traducteurs, traductrice hongroise), Malik Deshors
(illustrateur, Lyon), Sylvain Prudhomme (romancier, Arles), tous actuellement en résidence en
région Paca
Placer la résidence à hauteur de département : l'exemple des Hautes-Alpes, des Alpes de
Haute-Provence et des Bouches-du-Rhône
Par Blaise Mijoule, directeur de la BDP 05, et Mathieu Rochelle (sous réserve), directeur de la
BDP 13
 

Le dossier de presse. Ermenonville, Parc Rousseau.

http://www.parc-rousseau.fr/pdf/dossier-presse-rousseau.pdf

Dudding. Des noms de Rousseau



Arles, 12 septembre 2015

Tout texte, comme toute législation et toute "vie", est ainsi ouvert à un avenir irréductible et imprévisible qui compliquera toujours ce que Rousseau appelle la destination du texte en y introduisant la destinée. Cette destinée apporte toujours le faux et le simulacre, ce que Rousseau appelle la défiguration, et nous la lecture. Rousseau croit, littéralement in extremis, que le hasard peut révéler la vérité, refaire une destination providentielle d'une destinée: nous, qui croyons au hasard, savons que la structure catastrophique de la scène de la signature interdit une telle révélation apocalyptique. Galilée, 1991.p. 135.,

Jung-Eun CHOE.


La première traduction sud coréenne de "La Lettre sur les spectacles". Collège International des Traducteurs littéraires (CITL). Espace Van Gogh, Arles. 2015 septembre



Arles, 10 septembre 2015