C'est probablement au cours de l'hiver suivant que Rousseau se mit à écrire les Dialogues, selon un usage de la voix absolument différent. D'entrée de jeu, il s'agit d'une voix déjà étouffée, et enfermée dans un « silence profond, universel, non moins inconcevable que le mystère qu'il couvre... silence effrayant et terrible ». Elle n'évoque plus autour d'elle le cercle d'un auditoire attentif, mais le seul labyrinthe d'un écrit dont le message est tout entier engagé dans l'épaisseur matérielle des feuillets qu'il recouvre. Du fond de son existence, la conversation des Dialogues est aussi écrite que Les Confessions en leur monologue étaient parlées. Chez cet homme qui s'est toujours plaint de ne pas savoir parler, et qui fait des dix années où il exerça le métier d'écrire comme une parenthèse malheureuse dans sa vie, les discours, les lettres (réelles ou romanesques), les adresses, les déclarations -les opéras aussi -ont, tout au long de son existence, défini un espace de langage où parole et écriture se croisent, se contestent, se renforcent. Cet entrelacement récuse chacune par l'autre, mais les justifie en les ouvrant l'une sur l'autre : la parole sur le texte qui la fixe (« je viendrai ce livre à la main... »), l'écrit sur la parole qui en fait un aveu immédiat et brûlant.
Michel Foucault: Introduction, in Rousseau (J.- J.), Rousseau juge de Jean-Jacques. Dialogues, Paris, A. Colin, coll. « Bibliothèque de Cluny », 1962, pp. VII-XXIV.
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