Je ne sais si, durant sa vie, Rousseau fût persécuté comme il le crut. Mais, puisqu’il n’a manifestement pas cessé de l’être après sa mort, s’attirant les passions hostiles et, jusqu’à ces dernières années, la haine, la fureur déformatrice et l’injure d’hommes apparemment raisonnables, il faut bien penser qu’il y eut du vrai dans cette conjuration d’hostilité dont il se sentit inexplicablement la victime. Les ennemis de Rousseau le sont avec un excès qui justifie Rousseau. Maurras, le jugeant, s’abandonne à la même impure altération qu’il lui reproche. Quant à ceux qui ne lui veulent que du bien et se sentent d’emblée ses compagnons, nous voyons, par l’exemple de Jean Guéhenno, combien il leur est malaisé de lui rendre justice. On dirait qu’il y a en lui quelque chose de mystérieusement faussé qui rend furieux ceux qui ne l’aiment pas et gênés ceux qui ne veulent pas lui faire tort, sans qu’ils puissent parvenir à être sûrs de ce défaut et précisément parce qu’ils ne peuvent en être sûrs.
Maurice BLANCHOT: Le Livre à venir, Paris, 1959.
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